Paru le 7 Mars 2003
ISBN 2-84335-173-1
304 pages
17.00 euros
 
  Carnet de route de l’incendiaire du Reichstag
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


  Marinus van der Lubbe
  Carnet de route de l’incendiaire du Reichstag documents historiques traduit du néerlandais par Hélène Papot et préfacés et annotés par Yves Pagès et Charles Reeve.



Carnet présenté par :

Charles Reeve est né en 1945 à Lisbonne. Déserteur de l’armée coloniale portugaise, il vit à Paris depuis 1967. Il collabore à la presse socialiste antiautoritaire et il est l’auteur de plusieurs essais, dont Le Tigre de papier, sur le développement du capitalisme d’état en Chine, 1949-1971 (Spartakus, 1972), L’Expérience portugaise, la conception putshiste de la révolution sociale (Spartakus, 1976), Au-delà des passe-montages du Sud-Est mexicains (Ab Irato,1996), Bureaucratie céleste, bagne et business (L’Insomniaque, 1997; en collaboration avec Hfi Hfuan-Wou), Les Œillets sont coupés, chroniques portugaises (Paris méditerranée, 1999).

Yves Pagès est né en 1963 à Paris. Auteur d’un essai aux éditions du Seuil, Les Fictions du politique chez L.-F. Céline, il a publié six romans dont Les Gauchers (Julliard, 1993), Prières d’exhumer (Verticales, 1997), Petites natures mortes au travail (Verticales, 2000, “Points” Seuil, 2001), Le Théoriste (Verticales, 2001, “Points” Seuil 2003, Prix Wepler-Fondation La Poste 2001)
Il est aussi l’auteur d’une pièce de théâtre, Les Parapazzi montée au festival d’Avignon en 1998.
Yves Pagès travaille avec Bernard Wallet aux Éditions Verticales.

 

 

“Ce livre voudrait combler un vide. Le gouffre d'ignorance trop longtemps entretenu au sujet de Marinus van der Lubbe, ce chômeur hollandais de vingt-quatre ans décapité quelques mois après son arrestation dans le dédale du Reichstag en flammes, au soir du 27 février 1933. Depuis soixante ans, le jeune incendiaire est présenté comme un “simple d'esprit” et “l'instrument”, plus ou moins consentant, d’une provocation ayant porté au pouvoir le national-socialisme. Aujourd’hui encore, cette thèse complotiste – majoritairement contestée en Allemagne et en Hollande depuis le début des années 1960 – prévaut en France. Comme si, selon de mauvaises habitudes policières, il suffisait de se demander à qui profite le crime, pour éclaircir le cours de l’Histoire. L’affaire du Reichstag nous met pourtant en garde contre ces fausses pistes de l'évidence, contre cette façon de penser les événements socio-politiques à travers le seul prisme du roman d'espionnage.
Tout dans la brève existence de Marinus van der Lubbe dément la duplicité du rôle qu’on a voulu lui faire endosser. Ni son entourage, ni sa forte personnalité, ni son esprit de révolte précoce, ni ses activités militantes ne cadrent avec le portrait-robot, fabriqué a posteriori, d’un pyromane semi-débile manipulé par les nazis, ou pire encore, d’un agent provocateur à la solde de l’hitlérisme. Pour s’en rendre compte, il aurait suffi de consulter les divers écrits de l’incendiaire – rassemblés dès 1933 dans le Roodboek (Le Livre rouge), brochure militante diffusée par son Comité de soutien hollandais. Mais la chose est demeurée impossible jusqu’à ce jour puisqu'aucun éditeur de langue française n’a jugé bon de publier ces documents, ni même de citer une seule ligne de la main de Marinus van der Lubbe. Carnet de route de l’incendiaire du Reichstag prétend mettre fin à cette censure implicite qui, un demi siècle durant, a empêché les lecteurs de juger sur pièces.
Au premier rang de ces écrits, on compte un “Carnet de route” de Marinus van der Lubbe, couvrant la fin de l'été 1931. Ce journal, assez peu intime, décrit avec sobriété mais minutie un voyage à travers l'Allemagne, l'Autriche et les États balkaniques, de cet ouvrier du bâtiment, accidenté du travail dès 16 ans, qui au gré des embauches éphémères et de menus travaux saisonniers, partage ses périodes de chômage entre activisme militant, randonnée au long court et entraînement sportif. On trouvera dans ses notations prises sur le vif, un témoignage direct sur les conditions de vie des population rurales ou ouvrières des contrées européennes qu'il traversait. Mais outre la valeur documentaire de ces “choses vues”, c'est aussi l'état d'esprit de leur auteur qui s'y révèle en filigrane. Au fil des pages, Marinus apparaît sous son vrai visage: esprit indépendant, curieux de tout, sensible à la beauté des paysages, sobre, obstiné et économe, vif dans ses analyses, ennemi de tout préjugé nationaliste, épris d'entraide sociale et communiste de conviction mais sans phraséologie ni triomphalisme de parti.
S'étalant sur une période plus large – de juillet 1929 à décembre 1933 –, la correspondance de Marinus, bien que très incomplète, permet d'éclaircir les motifs de ses désaccords avec la direction du Parti communiste hollandais et de son rapprochement avec des militants oppositionnels (Radencommunist, “communistes de conseil”). Dans le même sens, les trois numéros du Werkoozenkrant, journal du Comité de chômeurs de Leyde (octobre-novembre 1932), corédigé par Marinus, précise avec netteté l'attachement du futur incendiaire à la spontanéité, l'autonomie et l'auto-organisation des luttes, trois points de divergence fondamentaux des marxistes dissidents de l'époque avec la ligne officielle du Komintern. On mesure ainsi combien son rejet des directions communistes hollandaise et allemande ne porte pas, aux yeux de Marinus, sur la question du recours à la violence individuelle, mais bien sur des clivages politiques de fond. Ces désaccords seront d'ailleurs au cœur du procès-verbal de police établi après l'arrestation de Marinus dans le Reichstag. Loin des propos incohérents d'un illuminé ou d'un simple d'esprit, l'incendiaire y présente son acte de “protestation” comme un signal destiné à inciter le mouvement ouvrier à sortir de son actuel état de résignation et de passivité défaitiste où il s'est laissé entraîner par ses dirigeants. D'autres documents, placés en annexe, achèveront de remettre au jour la sincérité de la démarche combattante de Marinus van der Lubbe qui, en s'attaquant à l'édifice le plus symbolique d'un pouvoir que les nazis avait déjà pour partie investi, pensait accélérer une dynamique de résistance révolutionnaire contre ce qu'il appelait lui-même le “fascisme meurtrier”. Si la suite des événements n'a pas répondu à ses espoirs, rien ne justifie que Marinus van der Lubbe ait été et soit encore traité de “provocateur” hitlérien dans les manuels scolaires et la presse à grand tirage. N'en déplaise aux calomniateurs de tous bords, cela est faux.
Il nous a semblé que ces documents exigeaient, pour leur compréhension, des éclaircissements biographiques sur Marinus van der Lubbe ainsi que des points de repères chronologiques sur l'évolution parallèle des situations politiques en Allemagne, en Hollande et en URSS. Ce panorama historique très détaillé, figurant au début du livre, aidera ainsi à replacer le destin de l'incendiaire du Reichstag dans toutes les nuances de son contexte existentiel et socio-politique.
Si l'objet de cet ouvrage est bien de réhabiliter la mémoire d'un jeune idéaliste victime tout à la fois de la terreur nazie et de la calomnie stalinienne, cet hommage fournit aussi l'occasion de s'interroger sur l'hégémonie, en France surtout, d'une lecture complotiste de l'affaire du Reichstag. En ce sens, une brève postface tentera d'ouvrir le débat en sondant les enjeux idéologiques de la criminalisation persistante du communiste oppositionnel et anti-fasciste révolutionnaire que fut Marinus van der Lubbe.

Avant-propos (pp. 7-10)
Yves Pagès & Charles Reeve