Paru le 1 Févr. 2002
ISBN 2-84335-134-0
144 pages
15.00 euros
 
  Poèmes bachiques et libertins
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


  Nuwâs Abû
  Abû Nuwâs est né vers le milieu du viiie siècle dans le sud-ouest de l’Iran. Poète d’ascendance persane, il écrivit toute son œuvre en langue arabe. On sait peu de choses de ce chantre du vin, du jeu et du libertinage, sinon que ses mœurs dissolues et son hérétisme lui valurent par deux fois l’emprisonnement.

Omar Merzoug, docteur en philosophie et auteur d’une thèse sur Averroès, a collaboré à de nombreuses revues. Outre la traduction de ces Poèmes bachiques et libertins, il prépare actuellement une biographie de Abû Nuwâs. 
  Abû Nuwâs, ce nom résonne, par-delà les temps, comme le porte-voix de la luxure et de l'impiété, l'emblème d'un art de vivre, courtois et raffiné, aux antipodes de la pudeur compassée et des conventions sociales empesées. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles son oeuvre demeure interdite dans certains pays arabes. Comme il est de règle aux époques de décadence, le puritanisme, étranger à vrai dire à l'esprit de l'Islam, gangrène l'époque et l'aire arabes dissuadant amateurs et dilettantes de goûter les pages d'Abû Nuwâs. Sans doute faut-il rappeler que le prestige de la poésie est tel chez les Arabes qu'elle est appréciée des religieux comme des athées, des libertins comme des prudes, des hommes comme des femmes.Ignorerait-on que Hârun Al-Rachid, l'un des califes les plus fameux, n'a pas craint de convier dans son salon, d'élever au rang de ses commensaux un homme aussi licencieux que Abû Nuwâs, auréolé de surcroît d'une réputation d'hérétique.
Mais cet auteur, qui était-il vraiment? Abû Nuwâs n'a pas laissé de mémoires, de souvenirs, et encore moins de testament. Les informations dont nous disposons à son sujet sont lacunaires. Si on est à peu près sûr qu'il est né à Al-Ahwâz, au sud-ouest du territoire iranien, à proximité de l'Irak, on discute encore de sa date de naissance (747 selon les uns, 762 selon les autres). Quant à celle de sa mort, elle demeure controversée. Au reste, des pans entiers de sa vie sont nimbés d'obscurité et l'on s'égare en conjectures sur certains évènements auxquels il fut mêlé.

Mais il y a plus: Abû Nuwâs ne s'est pas soucié de recenser ou de recueillir ses pièces, fragments volés à une existence d'artiste. On s'est à juste titre demandé si les textes, qui se transmettent sous ce nom fameux, sont bien de cet auteur à bien des égards sulfureux. De là à soutenir sans preuves, comme l'ont fait certains orientalistes, et non des moindres, que le Diwân est apocryphe, nous semble excessif. Par son hypercriticisme et ses pointilleuses chicanes, l'Université a porté une suspicion intempestive sur une œuvre qui, pour l'essentiel, est authentique.
Assurément, il faut faire litière des pruderies dévotes et des pudeurs puritaines pour affronter des poèmes d'une verdeur aussi inouïe. Son verbe magique ôte aux objets les masques conventionnels dont la vie les pare. Les choses étincellent dans leur splendeur originaire, hors d'une tradition sclérosée qui a figé la substance du poème dans les cadres rigides du mètre et de la prosodie classiques. Les contemporains de Abû Nuwâs n'ont point eu peur d'ouïr ce poète si singulier qui osait non seulement se mesurer aux prédécesseurs antéislamiques, mais encore affronter une tradition sourcilleuse et corsetée.

Si son époque a, non sans mal, toléré les satires d'un poète dont elle n'ignorait pas la valeur, la nôtre risque de ce point de vue d'être beaucoup moins libérale. Abû Nuwâs a vécu une époque où la religion, n'étant pas menacée, était plus disposée à transiger. Une fois encore, il se confirme que l'Islam historique est plus plastique que les musulmans. Par conséquent, il n'est de poète plus inactuel et moins conformiste que Abû Nuwâs et ses vers cinglants ou allègres, à la gaieté féroce et au tragique serein sont de nature à réveiller les peuples arabes de la torpeur morne où ils sont, pour leur malheur, engoncés.

Par un paradoxe inexpliqué, son anticonformisme et son inactualité laissent intacte sa gloire. Ce poète d'ascendance persane, qui, dans les querelles opposant Arabes et Persans, prit sans équivoque le parti de ses congénères et vitupéra les vainqueurs de Qadissiya et de Nehawend (ou Al-Nahrawân), n'écrivit jamais qu'en claire langue arabe. On le voit soucieux, tout au long de sa vie, de parfaire l'expression de son verbe. Il n'hésita pas à se plonger dans le milieu bédouin pour se forger une culture lexicale des raretés de la langue, et s'acharna à purifier la sienne de toute scorie. Est-ce ce là le motif qui expliquerait la permanence de sa popularité chez les arabophones? Mais ce n'est pas tout: le poète «aux cheveux bouclés » a repris à son compte, en le passant au crible de la critique qu'il avait sévère, le legs antéislamique. Ce passé n'est point occulté. Il poursuit les Arabes et les obsède. L'attachement viscéral aux appartenances tribales et le désir des razzias ancestrales, piaffant dans l'inconscient collectif arabe, en est la meilleure preuve. À ce titre, cet aède doit être célébré pour avoir protesté contre les forces d'anéantissement qui minèrent la société de son temps et culminèrent dans la calamiteuse guerre civile opposant les deux fils héritiers de Harûn Ar-Rachîd. À l'encontre de ce bellicisme de mauvais augure, auquel il opposa un pacifisme de haute tenue, Abû Nuwâs demeure le parangon de l’insatiable désir de jouir de la vie, de cette tendance à être possédé de passions, attaché aux plaisirs du sexe, à la fatalité de l'amour.

Extrait de la préface d'Omar Merzoug