Paru le 1 Oct. 2002
ISBN 2-84335-146-4
128 pages
14.00 euros
 
  Tout le monde n'a pas la chance d'être orphelin
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


C'est maintenant du passé
Detroit, dit-elle
Bord de mère
  Marianne Rubinstein
  «Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin...» Que recouvre cette antiphrase caustique? Ou plutôt qui se cache derrière?
Un père orphelin, survivant de la Shoah, s’adressant à sa fille. Marianne Rubinstein, l’adolescente d’alors, a été marquée par cette formule paradoxale. Des années plus tard, elle a voulu en sonder toute la complexité généalogique.
Les dizaines de milliers de Juifs français disparus pendant la guerre, ceux qui ne sont jamais revenus des camps d'extermination, ont "donné naissance" à une génération d'orphelins de la Shoah. Et ceux-ci ont à leur tour eu des enfants, fils et filles nés de parents orphelins. C'est à ces derniers que l'auteur de ce livre a choisi de donner la parole.
En marge de son travail universitaire, Marianne Rubinstein s'est efforcée pendant plusieurs années de recueillir les témoignages de cette "troisième génération". Elle a enregistré de nombreux entretiens qu'elle retranscrit ici, tout en leur adjoignant quelques notations sur la personnalité des interviewés. Cette quinzaine de protraits - dont elle a préservé l'anonymat - alternent aussi avec les souvenirs autobiographiques de l'auteur, indissociables de ceux de son père. Dans une intention plus littéraire ou musicale que strictement scientifique, Marianne Rubinstein développe une approche sensible que Serge Klarsfeld qualifie dans sa préface de nécessaire.

"Le livre de Marianne Rubinstein est pour la troisième génération ce que nos 'Lettres au Premier Ministre' furent en 1999 pour le seconde génération, celle des orphelins. Il révèle comment les trauimatismes se sont perpétués dans la descendance des survivants des familles assassinées.
Trois pour cent des déportés sont revenus. Les enfants des déportés non revenus ont terriblement souffert affectivement, moralement, matériellement et malgré l'amour dont ils ont chargé leurs enfants, ils les ont fait souffrir de leurs propres souffrances qui ont débordé et déferlé comme une lave d'une génération sur l'autre."

(Extrait de la préface de Serge Klarsfeld)



Dans le parcours de ces enfants nés d'orphelins, on ne pourra identifier un itinéraire unique, et ce n'est pas le propos. Pas de communauté identitaire mais des individualités singulières brisées, les cas particuliers d'une angoisse liée à l'histoire familiale et à l'Histoire de la Shoah. Et toujours ce même souvenir qui hante des individus qui ne l'ont pourtant pas vécu. Le dévoilement lucide de ces intériorités croise avec sobriété le récit introspectif de l'auteur de ce document.
Les fils et filles d'orphelins, représentatifs de la troisième génération dont il est ici question, - tel Gérard, Aude, Reine, Guillaume ou David -, peuvent néanmoins se réunir autour de la réflexion de l'un d'entre eux : ils sont les "Juifs qui ne se sentent bien nulle part" (Frédéric). Leur rapport à la judéité - tradition et religion -, à l'enfance, à leur descendance est une source de désarroi profond, parfois morbide, à l'aune de la tragéide dont leurs parents sont les dépositaires.
Klarsfeld parle dans sa préface d'un fardeau transmis par les assassinés aux orphelins, puis de cette charge que les orphelins doivent partager avec leurs enfants... Une secousse qui se propage, au risque de transmettre dans leur amour filial une certaine tyrannie du souvenir et de la tragédie.
On est frappé à la lecture de cette enquête vive et riche, touchante et nuancée, par la puissance de résonance de la Shoah dans l'imaginaire de cette troisième génération de Juifs français. Marianne Rubinstein parvient à sortir de l'ombre une autre part de l'indicible, orphelins de grands-pères et petits-enfants gazés. Et soudain, on découvre leur rapport complexe à la France - celle qui atrahi et qui pourrait recommencer -, on est troublé par leur rapport douloureux à la paternité/maternité qu'ils se sont reconstruits, des rapports à l'origine multiples et problématiques dont la souffrance partagée est le ferment de la vie.