Paru le 2 Janv. 2004
ISBN 2-84335-187-1
128 pages
15.50 euros
 
  Grandir
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


Le Caravage, peintre
  Guy Walter
  Ce livre est un portrait de mon grand-père M, celui qui n’est pas juif.
Ce livre est un portrait de ce moment où j’ai découvert pour la première fois la réalité de la Shoah en regardant une photographie.
Ce livre est le portrait d’un sonnet de Verlaine.
Ce livre est traversé par l’Evangile de Jean, par le songe de Jacob.
Ce livre cherche ses mots.
Ce livre évoque la Lorraine et mon enfance.
Il contient un mot qui n’est pas un mot, le mot abîme.
Un jour j’ai demandé à mon autre grand-père, celui qui est juif, qui était Dieu. Il est allé chercher dans un tiroir de son secrétaire le taquin, un jeu en bois qu’il possédait. C’était une boîte assez plate, de format carré, qui contenait serrées les unes contre les autres toutes les lettres de l’alphabet gravées sur des petits carrés en bois que l’on pouvait faire circuler avec son doigt pour les mettre dans le bon ordre. C’était le but du jeu. Ils n’auraient pu remplir cette boîte et tenir ensemble sans un carré muet sur lequel ne figurait aucune lettre. Il fallait l’ôter pour pouvoir bouger les autres. Mon grand-père me l’a montré et m’a dit : c’est Dieu. J’ai compris depuis qu’avec ces lettres, on peut écrire le mot abîme mais il faut alors laisser en place le carré muet. C’est ce que j’ai essayé de faire dans ce livre en tentant de réparer le mot abîme qui n’est pas un mot avec le mot sexe qui est le seul vrai mot que l’on peut aussi écrire en laissant le carré muet.
Certains mots dans ce livre sont réparés par d’autres mots.
Certains mots sont réparés par des gestes.
Ce livre s’est donc d’abord appelé la réparation.
Ce livre est par conséquent un portrait de la nudité.
Ce livre interroge le temps brutal du sexe.
Ce livre est un livre sur la division.
Ce livre essaie de dessiner une géométrie paradoxale du temps vécu. Ce livre est un livre de géographie temporelle.
Ce livre met du vieux dans du neuf, du plus dans du moins et l’inverse.
Ce livre contient une parabole.
Ce livre est un chant d’amour pour mon grand-père qui m’a sauvé de la folie proche.
Ce livre est écrit avec mes souvenirs et les siens.
Ce livre m’apparente à lui et à moi-même.
Ce livre est un livre de mains et de bras, de respiration, de sang qui chante dans les veines.
Ce livre descend très bas.
Il s’appelle donc Grandir.
Ce livre tente de parler du dehors et du dedans, de l’intérieur et de l’extérieur.
Ce livre est descendu en dessous de ma mémoire.
Ce livre est abstrait et concret : j’aime l’abstraction avec la même ferveur que j’aime la chaleur de la peau.
Ce livre parle de choses très intimes saisies dans la disproportion de l’Histoire.
Ce livre invente un mot: antépostériorité.
Ce livre est un récit que je viens de relire.