Paru le 1 Mars 2000
ISBN 2-84335-053-0
304 pages
16.77 euros
 
  Le Rêve du milieu
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


  Sebastian McEvoy
  Sébastian McEvoy a souhaité faire figurer en quatrième de couverture le texte suivant :

Violée à 13 ans, la nuit du 10 au 11 septembre 1974, Judith Clairvoyant accouche sous X plus d’un an après, le 29 octobre 1975. Ces événements, pense-t-elle, ne l’affecteront pas durablement. Elle devient interprète de conférences; et la sexualité, le terrain de son combat. Suite à la mort de ses parents, ou prétendus tels, elle a le sentiment de ne pouvoir vieillir, et même de retomber en enfance. Elle en perd l’usage de la parole et la capacité de travailler. Début octobre 1995, elle entreprend d’écrire sa vie : Le rêve du milieu..

Ce résumé crûment elliptique laisse entrevoir les caractéristiques de ce premier roman.
Il s’agit d’abord d’un récit rétrospectif écrit à la première personne par l’héroïne du livre. Et, sans conteste, le romancier réussit à créer le trouble dans l’esprit du lecteur, tant sa façon d’endosser un rapport féminin au corps, à la sexualité, à l’enfantement, à la famille paraît plus que vraisemblable, littéralement vécu. Il y a là un tour de force exceptionnel.
Cette remémoration n’est pas linéaire, elle tourne autour de la scène traumatique du viol proprement dit, qui occupe la deuxième partie du livre. La première et la troisième partie nous narrent les événements ultérieurs comme autant de pièces d’un puzzle : la fugue de Judith à quatorze ans, son amitié avec une danseuse qui va la recueillir à Monaco, la tardive prise de conscience de sa grossesse, ses démarches pour avorter et in fine son accouchement sous X.
A ces bribes de souvenirs se mêlent des évocations plus récentes du destin de la narratrice qui, par sédimentations successives, produisent la densité complexe d’une existence hors norme. A ceci près que le lecteur s’aperçoit, peu à peu, que toute la profondeur du personnage tient à ses non-dits, et surtout aux incohérences infimes et intimes qui s’insinuent dans son esprit obsessionnel.
Ainsi, contrairement à l’évidence de départ, l’enfant dont Judith est enceinte n’est pas le “fruit” du viol, mais d’autres circonstances qu’elle n’arrivera jamais à éclaircir tout à fait. Au lecteur d’avancer dans le labyrinthe de cette mémoire, entre rêve et réalité, aveu et autocensure. Sans qu’il soit nécessaire de découvrir la clé. Puisque, selon le voeu de l’auteur lui-même, il y a plusieurs pistes, toutes possibles.
On remarquera enfin que ce roman évite le misérabilisme social. En effet, cette jeune fille évolue dans un milieu provincial aisé et bien-pensant (père médecin, mère au foyer). Sa fugue de quatre mois n’a rien non plus d’une dérive sordide (Judith est recueillie par une danseuse de la Jet Set de la côte d’Azur). Par contre, tous les éléments factuels, médicaux, historiques qui forme l’arrière-plan du livre sont d’une extrême précision documentaire.
Quant à la dimension psychologique, c’est à côté que ça se passe, dans le rapport décalé au langage. On a affaire à une parole fragile faite d’arrêts, de tourbillons sombres, d’idées en boucle, de balbutiements au bord de l’insensé. On dirait un flux de conscience, mais sans aucun recours au lyrisme, puisqu’il s’agit pour l’auteur d’incarner un pensée qui travaille contre elle-même. D’un voix blanche, mais surtout minée de l’intérieur.

S’il faut trouver des affinités artistiques à ce roman, on les trouvera au cinéma. La Judith du Rêve du milieu a tout à voir avec l’héroïne de Sue perdue à Manhattan (jouée par Anna Thomson).

Il s’agit donc d’un roman exigeant et dérangeant, jamais malsain par complaisance. C’est surtout un premier livre d’une maturité de style hors du commun.