Paru le 7 Mai 2004
ISBN 2-84335-168-5
64 pages
12.00 euros
 
  Nous n'avons fait que fuir
 
   
DU MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS VERTICALES


  Bertrand Cantat
  [+ CD Noir Désir / 55 minutes]

Le soir du 21 juillet 2002, lors du festival de Montpellier-Radio France, le groupe Noir Désir répondait à une invitation de France Culture pour un concert unique.

Dans le cloître du couvent des Ursulines, ce fut un long poème de Bertrand Cantat : Nous n’avons fait que fuir. Une vingtaine de feuillets serrés ici reproduits in extenso. Et un morceau de 55 minutes, à l’atmosphère rythmique et aux lignes mélodiques d’une rare liberté, qui ne fut joué et enregistré qu’à cette exceptionnelle occasion.


 

  Pourquoi je suis fier de publier ce texte de Bertrand Cantat

J’ai eu le privilège de lire Nous n’avons fait que fuir une heure avant le concert organisé en juillet 2002 à l’initiative de Bernard Comment et de France Culture, un concert unique et exceptionnel pour le groupe Noir Désir : un seul morceau de 55 minutes, dont la partie chantée était un long poème de Bertrand Cantat d’une vingtaine de feuillets serrés.
L’immense succès de leur disque sorti en septembre 2001 - bien qu’annoncé comme un album risqué - les conforta dans l’idée de prendre plus de risques artistiques encore. Laboratoire permanent, le groupe trouvait dans la proposition de France Culture l’opportunité d’innover, d’explorer d’autres voies musicales tout en y gagnant une plus grande liberté de création. Ce qu’ils firent.
L’écriture avança dans le même temps que les thèmes musicaux s’élaboraient, Bertrand acceptant ou rejetant certaines ambiances musicales, proposant, selon les moments de son poème, un climat ou une ligne mélodique tout en mettant à profit a moindre pause pour travailler son texte, le rythmer, le ponctuer.
Sur scène, le soir du concert, chacun des musiciens du groupe, imprégné des mots de leur chanteur, joua pour la première fois sans filage, à l’instinct, en mêlant leurs improvisations à un savoir musical acquis ensemble depuis des années, et ce fut un moment magnifique dans le cloître du couvent des Ursulines à Montpellier.

Dès ma première lecture de Nous n’avons fait que fuir, je retrouve le rythme, les fulgurances et la force des images poétiques qui sont la marque de l’auteur des chansons de Noir Désir : « des tissus élastiques, de la chair de printemps, un carrousel vibrant sur un axe impétueux » « en bas, le sol crevé offre sa panse intime à la morsure du ciel. » « ils marchent ils avancent ils signent du bout des lèvres leur projet pour le siècle qu’on lit les yeux crevés » ; des images belles comme la rencontre fortuite sur une table à dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie.
Car Bertrand Cantat est un poète, un lecteur attentif à la poésie vivante comme à toutes formes d’écritures nouvelles. Je garde en mémoire une longue conversation que nous eûmes à propos de Lautréamont auquel nous vouons, lui et moi, la même admiration et aussi des grands classiques de la poésie arabo-persane, tels que Al Maari, Omar Khayyam ou d’Abu Nuwas dont la liberté d’expression et l’audace des thèmes nous semblaient désormais impossibles.
Dans Nous n’avons fait que fuir, parce que la poétique implique une politique et réciproquement, Bertrand Cantat nous parle de nous, nous qui avons perdu notre langue, nous qui ployons devant nos « empereurs communicants (de charmants chimpanzés aux mimiques de bronze et aux sourires d’ivoire) », nous les « intoxiqués volontaires » qui nous soumettons au conditionnement esthétique ; Mais Bertrand Cantat parle de nous aussi qui planifions, démantelons, délocalisons, nous les « apôtres de la modernité » nous, les « sur-adaptés chroniques » qui assujetisssons les autres à notre pouvoir. Bertrand Cantat parle de nous encore, nous qui ne cédons pas à ce formatage généralisé, nous qui ne capitulons pas, nous qui résistons en rêvant à d’autres mondes possibles tandis que « sur la longue route des chiens resplendissants deviennent nos alliés. »

Toute la part de nos fragiles utopies est là, exprimée dans les mots de Bertrand Cantat : « Nous, on aurait voulu qu’on nous parle gentiment, pas qu’on nous mente (...) pour changer des marteaux, pour changer des enclumes ».

Ultime hommage, enfin, à Léo Ferré, l’un des ses maîtres :

« Et la ville endormie rêve de barricades.
Allez on n’oublie rien ! »

Bernard Wallet